L’essence est chère, les embouteillages sont fatigants et le climat est rendu malade par (entre autres) les gaz d’échappement. Il vaut donc la peine de s’intéresser à la tentative audacieuse du gouvernement espagnol pour rendre gratuits des transports collectifs : les RER ou équivalents dans plusieurs villes, les trains de banlieue, certains trains et cars régionaux.
Cela a débuté en septembre, pour une période expérimentale de quatre mois. L’expérience a été assez concluante pour que soit décidée sa prolongation en 2023. Franc succès côté fréquentation : 30% d’augmentation du nombre moyen de voyageurs dans les trains de banlieue, jusqu’à 50% dans les RER de villes comme Séville ou Bilbao. Les économies dans les budgets des familles sont spécialement appréciées par les plus modestes, dont les capacités de déplacement sont ainsi accrues. Le bilan carbone est évalué, pour 2023, à un million de tonnes de CO2 en moins, avec 350 millions de litres de carburant non consommés. Satisfaction évidente chez les écologistes : ce dispositif « va dans la bonne direction, contrairement à la subvention des carburants, qui continuait d’encourager l’utilisation de la voiture », a dit Adrian Fernandez, porte-parole mobilité de Greenpeace Espagne.
Evidemment cela ne va pas sans poser quelques problèmes. A commencer par les dépenses publiques correspondantes : environ 700 millions d’euros dans l’année pour l’Etat, pris sur les impôts de tous – y compris les personnes qui ne se déplacent pas. On peut toujours se dire qu’une partie devrait se récupérer grâce à une dynamisation des activités et à une baisse des troubles de santé, mais c’est difficile à anticiper. Une partie de ces dépenses est d’ailleurs superflue, car des personnes peuvent prendre un abonnement, gratuit pour elles mais financé par l’Etat, et ne presque pas s’en servir ensuite – ce cas a été prévu, dans une certaine mesure : après trois réservations de trains annulées tardivement, l’abonnement est supprimé. Et puis, la hausse du nombre de voyageurs est une bonne nouvelle à condition que le réseau de transports (le « Système National de Mobilité », en Espagne) puisse faire face ; bien des insuffisances se sont révélées dans ce nouveau contexte.
Nous n’en sommes pas du tout là en France, évidemment – en tous cas, pas dans les grandes villes. Il y a des dispositifs partiels : gratuité pour les moins de 18 ans (Paris, Lille, Strasbourg, Montpellier), pour tout le monde le samedi ou les week-ends (Rouen, Nantes, à nouveau Montpellier). La gratuité totale, « à l’espagnole », n’existe que dans des villes plus petites ; une trentaine, un peu dans tous les coins du pays : Calais, Niort, Gap, Porto-Vecchio…. L’Etat, lui, se contente de limiter les dépenses pour les usagers, comme récemment en versant une subvention de 300 millions d’euros pour les transports régionaux, dont 200 millions pour l’Ile-de-France, afin d’éviter une trop forte envolée des tarifs ; c’est ce qui a permis que le passe Navigo augmente de 12% « seulement », au lieu de 20% sans cette subvention.
Que penser de tout cela ? La gratuité est-elle la bonne manière de combattre à la fois les inégalités et les gaz à effet de serre ? Débat ouvert. On peut être sûr en tout cas que, sans audace, il n’y a pas de politique écologique et sociale qui aboutisse à de vrais résultats.